L’héritage architectural européen dans le bassin minier de Gafsa: état des lieux et modes de valorisation.
Adel Ben Youssef
(Faculté des Lettres de Sousse/Laboratoire LERIC, Université de Sfax)
Introduction :
La présence européenne, notamment française en Tunisie durant 75 ans (de 1881 à 1956), avait généré un patrimoine immatériel et matériel riche et très varié, issu du métissage entre les Européens (Italiens et Français essentiellement…) et les populations locales. Si le patrimoine immatériel est encore présent, voire même remarquable au niveau de la culture : langue, connaissances, mode de vie… etc, le patrimoine matériel, notamment le bâti des XIX et XX è siècles ou l’héritage architectural, s’est nettement dégradé pour ne pas dire sacrifié, suite au départ des Européens vers leurs pays d’origine et son legs officiel aux autorités tunisiennes en 1964, et ce pour maintes raisons !
La diversité des styles et la variété des éléments architecturaux, urbanistiques et décoratifs, ont fait de cet héritage une composante importante de notre patrimoine historique, voire même de notre identité culturelle. En effet, la Conférence mondiale sur les politiques culturelles (tenue à Mexico le 6 août 1982), avait défini l’identité culturelle comme «
une richesse stimulante qui accroît les possibilités d’épanouissement de l’espèce humaine en incitant chaque peuple, chaque groupe, à se nourrir de son passé, à accueillir les apports extérieurs compatibles avec ses caractéristiques propres et à continuer ainsi le processus de sa propre création »
[1].
Pour des raisons purement politiques, le patrimoine hérité de l’ère coloniale a été longtemps jugé « non tunisien ». Selon
Claude Liauzu la prise en charge du passé colonial a été faussée dès le départ (et ce des deux côtés) par la place quasi exclusive du mouvement nationaliste, qui craint de nouvelles identités forcément contradictoires
[2].
Toutefois, à partir des années 1980-1990, on assiste à l’émergence d’un nouveau discours patrimonial, et ce dans les milieux officiels tunisiens et surtout du côté de la société civile, qui a prêché et prêche encore la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine de l’ère coloniale, et ce sous plusieurs appellations : l’architecture de l’époque/l’ère coloniale, l’architecture européenne, l’architecture moderne et contemporaine, l’héritage architectural des XXe - XIXe siècles…etc. Le discours des dernières années avait bel et bien abouti à tel point que cet héritage est devenu aujourd’hui
« une composante de notre patrimoine urbain national » et
« indissociable de notre culture, qu’il faut jalousement préserver …»
[3].
La découverte des gisements de phosphate par Philippe Thomas en 1885, a été à l’origine de la naissance d’une région minière et d’un paysage urbain, formé de 04 villes Ex nihilo : Métlaoui (l’actuelle Metlaoui), Redeyef, Moulares (l’actuelle Oum Laraies) et M’dhilla.
Toutefois, cette région qui se fera connaître pour sa richesse historique, sociale et enfin architecturale, est devenue après plus de 60 ans d’indépendance, une des plus pauvres régions du pays avec un taux de chômage élevé (+ 20 % de la population en âge de travailler), chômage de masse et de diplômés, oisiveté de la jeunesse, des quartiers fantômes et des tentes de Sit-in partout, où on s’y croirait dans un camp de réfugiés !
Quant au l’architecture datant de l’ère coloniale, il reste peu connu par le large public, et devenu dans un état délabré, voire très fragile pour ne pas dire livré à son triste sort depuis des décennies !
Dans cette étude, nous nous proposons tout d’abord faire un état des lieux de cet héritage architectural, faire un inventaire des principaux sites et monuments européens hérités de l’ère coloniale, qui ont pu résister face au saccage, délabrement et l’absence d’entretien…, dresser ensuite un état de l’art de la question : sources et bibliographie …, et enfin voir les opportunités de promouvoir cet héritage architectural avec le concours de plusieurs partenaires : la société civile, les associations de sauvegarde des médinas (ASM), les ONG et surtout les associations locales de jeunesse…, et ce pour une meilleure exploitation et gestion de cet héritage, capable de promouvoir la région, l’intégrer dans le mode de développement économique, national, social et culturel et mettre fin à des décennies d’isolement.
Les gisements de phosphate facteur d’attraction des Européens et source de richesse de la région :
La plus grande richesse du sous-sol tunisien est incontestablement constituée de gisements de phosphates. (Plus de 50 % de la valeur totale des exportations tunisiennes). Les gisements existants, en couches d’une épaisseur variant de quelques décimètres à 5 mètres, s’étendent en bordure de la chaine de Gafsa, à Metlaoui, Redeyef, M’Dhila, Moularès.
Le bassin phosphatier de Gafsa est le plus étendu de la Tunisie. Les premiers gisements de phosphates de calcium ont été identifiés en avril 1885 sur le versant de Jebel Thelja par Philippe Thomas… A partir de 1896, date de création de la Compagnie de Phosphate et de Chemin de Fer de Gafsa, une nouvelle activité industrielle des phosphates a vu le jour dans le pays. Les premières excavations ont commencé dans la région de Metlaoui vers 1900, avec une production du phosphate marchand qui a atteint un niveau de 20.000 tonnes. Après ces débuts, la Compagnie de Phosphate et de Chemin de Fer de Gafsa a connu tout le long de sa longue histoire une série de changements structurels avant d’acquérir son statut actuel et devenir, en janvier 1976, la Compagnie des Phosphates de Gafsa, « C.P.G ».
L’extraction de phosphates est passée de 9,2 millions de tonnes en 1989 à 11,6 millions de tonnes en 2008 dont 1.5 millions de tonnes d’engrais chimiques exportés par le Groupe Chimique Tunisien (G.C.T, une société de l’industrie chimique appartenant au même groupe CPG-GCT)
[4], soit 4 % du PIB du pays et 10 % des exportations. Elle faisait partie des trois principaux fournisseurs d’engrais de l’Europe, avec le Maroc et la Russie. La C.P.G employait près 30.000 employés comme des « travailleurs fantômes » engagés « pour maintenir la paix sociale ».
La teneur en phosphate du minerai brut est assez variable. De 58 % à 70 % dans les gisements de Gafsa, elle oscille entre 58 % et 63 % dans ceux de la Tunisie centrale. Des efforts constants sont faits pour enrichir la teneur des phosphates tunisiens, et les mettre en qualité compétitive avec les productions marocaines et américaines. C’est ainsi qu’une grande laverie fonctionne depuis 1953 à Metlaoui.
Par conséquent, le nombre d’Européens installés dans la région de Gafsa, est passé de quelques dizaines en 1895 pour atteindre 12.338 personnes en 1936 (des Français essentiellement, succédés par des Italiens et des Espagnols…) et 3.500 personnes en 1956, dont 11.88 installés à Gafsa, le Contrôle Civil Ville
[5]. La société coloniale avait donc instauré des traditions minières et a mis en place une composition urbaine susceptible de répondre à ses objectifs économiques, mais aussi à ses ambitions hégémoniques de domination; d’où le choix du site, de l’implantation de la zone industrielle et l’emplacement des quartiers européens… etc.
La naissance d’un urbanisme minier dans la région de Gafsa :
Au début de la mise en exploitation des gisements de phosphate de la région de Gafsa en 1895, il n’existait pas de population locale sédentaire, mais plutôt des habitations flottantes et temporaires. La découverte des gisements de phosphate, constitue un tournant décisif, marqué par l’émergence d’un nouveau mode de vie et par un essor industriel inédit, qui annonce le déclin de l’activité agricole et pastorale traditionnelles.
Il est d’abord important de noter que le travail assidu et permanent dans la mine a été étranger aux nomades, ce qui a compliqué le démarrage de l’exploitation et a incité les compagnies telles que : la Société de Djebel M’dhilla, la Compagnie Sfax- Gafsa…etc., à recourir à une main-d’œuvre étrangère qualifiée et surtout ayant acquis de l’expérience dans le secteur minier aux origines ethniques différentes. Il en résulte un recrutement massif d’ouvriers italiens, français, espagnols, marocains, tripolitains, soufis (provenant de Oued Souf en Algérie) et kabyles… etc.
Mais en raison de l’instabilité de cette main-d’œuvre, les sociétés d’exploitation des phosphates étaient amenées à s’orienter vers une stratégie de stabilisation et de fixation qui se traduit par la création d’un habitat ouvrier, susceptible d’encourager ces travailleurs à s’installer dans la région.
Le processus de la création d’un environnement ouvrier est étroitement lié aux autres activités minières en pleine expansion depuis la fin de la Grande Guerre, entre autres, l’investissement dans l’infrastructure et en particulier dans le secteur du bâti : voies ferrées, gares, foyers et résidences... etc.
Par delà, la création des nouvelles villes minières avait connu trois étapes principales : la première se concentre sur le choix du gisement en fonction de certaines contraintes techniques, telles que les réserves et les possibilités d’extraction, qui déterminent l’emplacement du siège minier… Sachant que son installation est consacrée, dans un premier temps, aux travaux préparatoires nécessitant le creusement de galeries, l’organisation des aires de séchage et l’aménagement d’une voie ferrée. Dans un second temps, on procède à la mise en place du siège administratif de la société d’exploitation et des services généraux et techniques, ce qui atteste le primat des installations industrielles.
La deuxième étape consiste en l’implantation d’un village destiné à accueillir les cadres européens, confrontés durant leur séjour à des conditions naturelles et sociales spécifiques. En effet, l’emplacement de leur quartier est déterminé en fonction de celui de l’aire de séchage, prenant en compte l’orientation des vents dominants et son isolement de la zone de nuisance. Il s’agit de créer un cadre de vie adapté, agréable et, surtout, de fixer une population habituée à un mode de vie différent, voire opposé à celui que la ville de M’dhilla peut leur offrir.
La troisième étape concerne l’installation des quartiers périphériques, destinés à loger les ouvriers autochtones. C’est précisément cette dernière étape qui révèle la mise en place d’une ségrégation sociale et ethnique entre les quartiers européens et arabes, mais également au sein de la communauté européenne elle-même. Implantée sans aucun souci d’orientation, cette zone périphérique est repoussée loin du village européen, à proximité des points d’extraction, lieu de travail des ouvriers autochtones.
Ces trois étapes, qui ont abouti à la création des quatre villes minières, illustrent la stratégie adoptée par les sociétés coloniales, en matière d’adaptation à la diversité des traditions minières. Elles révèlent aussi une volonté de réaliser un plan urbain typiquement minier, conforme aux règlements des Sociétés coloniales minières : L Société de Djebel M’dhilla, La Compagnie Sfax- Gafsa… etc.
Les traditions urbanistiques minières sont à l’origine de la division du territoire en deux zones distinctes : une zone industrielle et une zone urbaine. Cette répartition accorde la priorité aux implantations industrielles, qui exigent un aménagement particulier de l’espace et qui imposent également un mode d’intégration spécifique dans les différents quartiers de M’dhilla, en fonction de leurs composantes.
Les traditions coloniales sont déterminées par la ségrégation ethnique et par la hiérarchie professionnelle. Pour ce qui est de la ségrégation ethnique, les sociétés d’exploitation ont adopté des systèmes différents de séparation ; certains sont naturels, imposés par les reliefs ou par les oueds, alors que d’autres sont industriels et instaurés par la voie ferrée, par l’aire de séchage, ou simplement par l’éloignement.
Quant à la hiérarchie professionnelle, elle est constituée d’Européens qui occupent le centre d’une cité conçue à l’image de leurs villes natales, avec ses toitures à deux pans en tuiles rouges, afin de les retenir et de faciliter leur intégration. Enfin, les autochtones sont relégués à la périphérie et vivent dans un quartier implanté sans aucun plan d’aménagement au préalable, contrairement au village européen vers lequel s’orientent tous les efforts de la Société coloniale.
La hiérarchie professionnelle impose à son tour une forme de ségrégation sociale, qui se manifeste dans la typologie des logements. En effet, le directeur est installé dans une grande demeure entourée d’un parc majestueux ; les ingénieurs et les cadres européens habitent de coquettes villas, les ouvriers italiens sont logés dans des casernes et les autochtones dans des gourbis.
En somme, ces nouvelles traditions minières et coloniales ont abouti au morcellement de l’agglomération et engendré une structure urbaine verrouillée par un système de ségrégation rigoureux qui, malgré tout avait donné lieu à la naissance des espaces urbains européens, assez importants qui varie d’une ville à l’autre, sans oublier la ville de Gafsa, la capitale et le Chef lieu du Contrôle civil de la région.
Un héritage architectural très riche et varié:
Avec le début d’exploitation du premier gisement de Phosphate en 1895, découvert depuis 1885 par l’explorateur et le vétérinaire militaire principal, Philippe Thomas (dont la ville de Metlaoui adopta son nom avant de le retrouver en 1956), le nombre d’européens ne cesse d’augmenter pour atteindre son apogée en 1936. Ce changement démographique engendrera à son tour une nouvelle composition urbaine, architecturale et sociale, marquée par le passage du nomadisme à la sédentarité et par conséquent à l’émergence d’un nouveau mode de vie.
L’activité minière était totalement méconnue des nomades
Hmammas de la région de Gafsa, ce qui explique le recours des autorités françaises à une main d’œuvre étrangère aux origines ethniques différentes ayant précédemment acquis de l’expérience dans le secteur minier. Ces nouvelles composantes ont donné lieu à un paysage urbain typiquement minier, à la fois urbain et rural.
Quant à l’
architecture, elle est très variée :
L’architecture civile: elle comporte les édifices publics et privés : les maisons, les palais et demeures, les hôtels de ville, les hôpitaux et les dispensaires, les écoles… etc., implantés dans la région.
L’architecture religieuse: elle est formée de Chapelles, des églises et des synagogues…, implantées dans la région.
L’architecture industrielle: elle renferme les mines souterraines, les mines à ciel ouvert
, les ateliers, les usines, les gares, les voies ferrées, les tunnels, les ponts, les châteaux d’eau, les silos à charbon, les silos à céréales, les usines de traitement, les halles à charpente métallique, les poudrières, les fermes agricoles, les minoteries… etc.
L’architecture et l’urbanisme ont constitué des éléments incontournables dans la stratégie coloniale française. Pour concrétiser leur conception urbanistique, les décideurs du régime de Protectorat français en Tunisie, ont depuis 1881 fait appel à de jeunes architectes urbanistes, parmi les plus célèbres on peut citer :
Christian Attard, Gérard Bacquet (à Sfax)…, et
Michael Kosmin pour la région de Gafsa étaient. C’est sur un terrain vierge que ces fameux architectes ont exprimé leurs talents d’une façon éclatante. Les nouvelles villes de l’époque coloniale (entre autres les villes du bassin minier de Gafsa) ont été de ce fait, un terrain privilégié pour l’expérimentation de nouvelles techniques urbanistiques et architecturales qui ont constitué une « école » à l’époque, comme c’était le cas de Casa ou Rabat au temps du Résident Général, le Maréchal Lyautey (1912-1926) !
En somme, cette architecture se caractérise par un style typique. En effet, le début du XXe siècle, était marqué par le style art-déco. À partir des années trente, l’art arabo-mauresque restait non décliné malgré l’apparition du style international !
D’une région riche à une région marginalisée :
Dès le 6 janvier 2008, à la suite de l’annonce des résultats d’un concours de recrutement de la C.P.G (la Compagnie des phosphates de Gafsa, l’entreprise publique chargée de l’exploitation des phosphates depuis 1962) des habitants des principaux villages et villes des centres miniers de la région du sud-ouest tunisien s’étaient massivement engagés dans une série d’actions sévèrement réprimées pendant six mois de protestation.
La dénonciation du mode népotiste d’attribution des postes par la C.P.G avait réuni un nombre important de chômeurs (diplômés et non diplômés) et leurs familles.
En effet, Gafsa est une région minière dont l’agriculture est sinistrée, notamment en raison de l’aridité, des mauvaises conditions pluviométriques et de l’utilisation de l’eau par les laveries de la C.P.G. L’essentiel de l’activité tourne autour des mines de phosphate. La pauvreté est importante dans les villages, en particulier à l’est, mais également dans les villes minières de la région. Le taux de chômage dans le gouvernorat de Gafsa est, selon les chiffres officiels, l’un des plus élevés du pays, soit quasiment le double du taux national.
À la fin 2010, Gafsa enregistrait le taux de chômage le plus élevé du pays avec 28,3%, soit plus du double du taux national estimé à 13%. Tataouine enregistrait un taux de chômage de 23,6%, et Kasserine, de 20,7%. S’agissant du taux de chômage des diplômés : le gouvernorat de Gafsa reste en dernière position avec 47,4%, soit près du double du taux national de 23,3%
[6].
Depuis le milieu des années 1980, la réforme de la C.P.G. suivant les standards néolibéraux, notamment grâce aux crédits de la Banque mondiale, a marqué le déclin de l’embauche dans la région. L’entreprise, qui est l’un des plus gros producteurs de phosphate au monde, a alors quasiment cessé de recruter et, depuis cette période, 10.000 emplois ont été supprimés, soit deux tiers des postes.
Dans cette région, où la Compagnie constitue l’un des rares débouchés pour les aspirants au marché de l’emploi, le chômage, en particulier des « jeunes », s’en est trouvé aggravé
[7].
Cette poule aux « œufs d’or » a arrêté de pondre, depuis 2011, s’étant confrontée aux multiples troubles sociaux qui s’étaient accentués après la chute du régime de Ben Ali. En effet, en 2019, la production des phosphates et l’exportation des engrais ont atteint 3.8 millions de tonnes et 11.736 employés et 65 Millions de dollars de chiffre d’affaires. Par conséquent, l’industrie tunisienne du traitement du phosphate fût en perte de vitesse, en plus des contestations en lien avec les conséquences environnementales et sanitaires de la production et du phosphate. Ceci dit, les revendications sociales et les échauffourées ont continué, jusqu’à aujourd’hui, balançant le bassin minier de Gafsa dans des difficultés majeures.
Les revendications de ces exclus du circuit de production se combinent aussi à celles des travailleurs occasionnels et des ouvriers titulaires exerçant un emploi stable et mieux rémunéré au sein de la C.P.G. Les chômeurs vivent souvent sous le même toit que les ouvriers titulaires au statut envié, ainsi que les travailleurs journaliers ou saisonniers. Ces luttes sont ainsi relatives à l’amélioration des conditions matérielles de ces familles. Les femmes sont aussi au premier plan des mouvements contestataires. Si les manifestantes étaient rarement des militantes partisanes ou associatives, en revanche, épouses ou veuves d’ouvriers et de mineurs des phosphates, jeunes diplômées chômeuses, lycéennes, syndicalistes de base, mères et grands-mères des manifestants emprisonnés étaient constamment présentes lors des protestations de Gafsa, Oum Laraies, Mdhila, Métlaoui et Redeyef.
Dans la région de Gafsa, la C.P.G. est ancrée dans les imaginaires comme l’unique alternative à la pauvreté. Selon les manifestants, la C.P.G. devait s’acquitter de la dette contractée envers les nombreuses familles d’ouvriers, qui se sont « rongés leurs vies » pour son bon fonctionnement. Cette crise socio- économique va certainement affecter le patrimoine européen hérité de l’ère coloniale.
Un patrimoine sacrifié :
Depuis l’indépendance du pays en 1956 et la nationalisation du phosphate en 1962 puis des terres agricoles le 12 mai 1964 et départ massif des colons et des sociétés européennes installées dans la région le patrimoine européen hérité et pour maintes raisons a été marginalisé, délaissé et parfois détruit.
Avec le départ massif des européens et la nouvelle politique de structuration de l’espace, on assiste à une accélération du phénomène d’urbanisation. Les grandes villes se voient dotées de fonctions régionales importantes, par ailleurs les structures d’accueil (logement, emploi) y sont meilleures en raison du départ des européens. Partout où le peuplement européen est important, on constate un phénomène de remplacement qui agit comme un accélérateur de la mobilité générale.
C’est encore pis, l’occupation de ces locaux par la population et les fonctionnaires de l’Etat tunisien à partir des années 1960 et 1970 était derrière l’altération, voire même la démolition d’une grande partie d’entre eux. Au cours des années 1980-1990 du siècle dernier on y assiste à un discours officiel et de la société civile de conservation et de protection du patrimoine de
l’époque coloniale, devenu aujourd’hui « une partie de
notre patrimoine urbain moderne » et « indissociable de
notre culture des XXe et XIXe siècles qu’il faut jalousement préserver …».
[1] UNESCO, Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, Conférence mondiale sur les politiques culturelles Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982, Identité culturelle : Article 3. Cf. Le texte intégral de la déclaration in URL :
file:///C:/Users/hp/Downloads/D%C3%A9claration%20de%20l'UNESCO%20de%20mexico%20sur%20les%20politiques%20culturelles.pdf
[2] Cf. Claude Liauzu (dir.), Colonisation : droit d’inventaire, Paris, Armand Colin, Coll. « Les enjeux de l’Histoire », 2004, p. 15
.[3] Des termes devenus presque courants dans la plupart des rapports annuels des associations de patrimoine, de sauvegarde des médinas..., nationales, régionale et mêmes locale
[4] Atlas du Gouvernorat de Gafsa, Ministère du transport et de l'équipement Direction Général d’Aménagement du Territoire, Tunis, 2011, p. 37.
[5] Cahiers ORSTOM, Série. Sciences Humaines, vol. XII, N° 4, 1975, pp. 345-377.
[6] Riadh Béchir, « Réduire les disparités régionales, un défi pour la Tunisie nouvelle Laboratoire d’Economie et Sociétés Rurales », Institut des Régions Arides Médenine, Tunisie, in Les notes d’alerte du CIHEAM, N ° 77, 20 décembre 2011.
[7] Cf. Amin Allal, « Réformes néolibérales, clientélismes et protestations en situation autoritaire. Les mouvements contestataires dans le bassin minier de Gafsa en Tunisie (2008) », Politique africaine, 117, mars 2010, p. 107-126.